Contexte de l’étude
L’anémie ferriprive (AF) est une condition qui peut affecter la fonction auditive en provoquant une hypoxie cochléaire et des modifications hémodynamiques. Cependant, les preuves longitudinales reliant l’AF aux acouphènes restent limitées. Cette étude a exploré l’association entre l’AF et l’apparition de nouveaux acouphènes chez les patientes, en utilisant un design de cohorte à grande échelle.
Méthodologie
Cette étude de cohorte rétrospective a utilisé le réseau de dossiers de santé électroniques TriNetX (2010-2022) pour identifier les patientes avec et sans AF, en se concentrant exclusivement sur les femmes pour minimiser les biais liés à l’exposition au bruit professionnel. L’AF a été définie par un taux d’hémoglobine inférieur à 12 g/dL et une ferritine inférieure à 30 ng/mL enregistrés dans un délai de 3 mois, tandis que les témoins avaient des niveaux supérieurs à ces seuils. Le principal résultat mesuré était l’apparition de nouveaux acouphènes, et le résultat secondaire était les acouphènes pulsatiles, tous deux évalués à 1 et 3 ans après la date de référence. Après avoir utilisé le score de propension pour équilibrer les caractéristiques de base, nous avons calculé le rapport de risque (HR) en utilisant des modèles de risques proportionnels de Cox et effectué des analyses de sous-groupes pré-spécifiées examinant les relations dose-réponse selon la sévérité de l’hémoglobine et les effets stratifiés par âge.
Résultats
L’AF était associée à un risque significativement plus élevé d’acouphènes à 1 an (HR 3,78, intervalle de confiance [IC] à 95 % : 2,60–5,50 ; incidence de 15,7 contre 4,2 pour 10 000 personnes-années) et à 3 ans (HR 2,52, IC à 95 % 2,11–3,02 ; 18,6 contre 7,4 pour 10 000 personnes-années). Le risque d’acouphènes pulsatiles était également élevé à 3 ans (HR 2,25, IC à 95 % 1,42–3,57). Une relation dose-réponse claire a émergé, avec une AF sévère (hémoglobine < 10 g/dL) conférant le risque le plus élevé à 1 an (HR 5,74, IC à 95 % 3,24–10,16). L'analyse stratifiée par âge a révélé une vulnérabilité différente : les femmes plus âgées (> 45 ans) montraient une plus grande susceptibilité aux acouphènes généraux (HR 4,55 contre 3,26), tandis que les femmes plus jeunes présentaient un risque exclusif pour les acouphènes pulsatiles.
Conclusion
L’AF a montré une association dose-dépendante significative avec l’apparition de nouveaux acouphènes chez les femmes. Ces résultats soutiennent le dépistage systématique de l’AF chez les femmes présentant des acouphènes et suggèrent qu’une reconstitution rapide en fer pourrait aider à réduire le risque de dysfonctionnement auditif potentiellement évitable.
Les acouphènes, la perception de sons sans stimulus acoustique externe, affectent environ 10 à 15 % de la population mondiale et altèrent considérablement la qualité de vie en provoquant des troubles du sommeil, des difficultés de concentration et une détresse psychologique. Bien que de multiples étiologies contribuent au développement des acouphènes, les maladies systémiques qui affectent la perfusion cochléaire et l’apport en oxygène ont émergé comme des facteurs de risque importants. L’anémie ferriprive, caractérisée par des réserves de fer épuisées et des niveaux d’hémoglobine réduits, représente un état physiopathologique unique qui compromet simultanément la capacité de transport de l’oxygène et les processus cellulaires dépendants du fer. L’impact dual de l’AF, combinant l’hypoxie tissulaire liée à l’anémie avec la déplétion en fer au niveau cellulaire, peut particulièrement affecter le système auditif, qui est métaboliquement exigeant.
Implications cliniques et limitations
Les implications cliniques de cette étude soulignent l’importance de considérer l’AF dans l’évaluation des acouphènes, en particulier chez les femmes. Le modèle dose-dépendant suggère que même une AF légère peut contribuer à un risque accru d’acouphènes, bien que l’inférence causale ne puisse être établie. Le modèle temporel observé au cours de la première année suggère qu’une correction rapide du fer pourrait aider à réduire le risque auditif, mais des études supplémentaires sont nécessaires pour confirmer cette possibilité. Du point de vue de l’audiologie clinique, les patientes souffrant d’AF sévère pourraient bénéficier d’évaluations auditives de base et de suivi, y compris l’audiométrie tonale, les émissions otoacoustiques et les tests de réponse auditive du tronc cérébral pour détecter une dysfonction auditive subclinique. L’évaluation de l’AF devrait être envisagée dans le diagnostic différentiel des acouphènes idiopathiques pour assurer une reconnaissance rapide des contributeurs hématologiques.
Cette étude présente plusieurs limitations. Tout d’abord, bien que nos résultats fournissent des preuves solides d’une association entre l’AF et les acouphènes, ils n’établissent pas de causalité. Un biais résiduel dû à des facteurs non mesurés tels que l’exposition au bruit professionnel ou récréatif, le stress psychologique, les habitudes nutritionnelles ou d’autres variables de style de vie peut encore expliquer en partie ou en totalité les associations observées. Deuxièmement, nous manquons de données sur la conformité à la supplémentation en fer, l’apport alimentaire en fer et la réponse au traitement, qui pourraient influencer les résultats. Troisièmement, les données audiométriques ou de réponse auditive du tronc cérébral n’étaient pas disponibles dans la plateforme TriNetX, ce qui empêche une évaluation directe des seuils auditifs. Par conséquent, nous ne pouvions pas déterminer si les acouphènes dans notre cohorte se développaient indépendamment d’une perte auditive mesurable. Enfin, l’exposition à l’AF dans cette étude a été définie à un seul moment de référence et n’a pas capturé les changements ultérieurs dans le statut de l’anémie.
En conclusion, cette étude de cohorte à grande échelle a identifié une association entre l’AF et l’apparition de nouveaux acouphènes chez les femmes, avec un risque accru de 3,78 fois à 1 an et une élévation soutenue de 2,52 fois à 3 ans, ainsi qu’une association significative avec les acouphènes pulsatiles. Ces résultats soutiennent la considération du dépistage de l’AF chez les femmes souffrant d’acouphènes et suggèrent qu’une reconstitution rapide en fer pourrait aider à réduire le risque de dysfonctionnement auditif potentiellement évitable, bien que la causalité ne puisse être confirmée. Des recherches futures devraient explorer si la supplémentation en fer réduit l’incidence des acouphènes, examiner les biomarqueurs prédisant la susceptibilité individuelle et étudier les résultats auditifs à long terme après le traitement de l’AF pour optimiser les stratégies préventives pour cette condition courante et débilitante.
🔗 **Fuente:** https://www.frontiersin.org/journals/nutrition/articles/10.3389/fnut.2025.1704946/full